samedi 15 septembre 2012

Retour de Baltique par le Skagerrak




Je rêvais d'un retour de 500 miles, en une étape, avec un vent moyen de force quatre, éventuellement au près ou au louvoyage, car il ne faut pas vouloir trop contrarier l’univers qui a quand même décidé que les vents dominants soufflent du sud-ouest.

Cependant, il devenait évident que depuis le 25 août la météo se dégradait. C'était peut-être parce que nous étions arrivés sur la côte ouest de la Suède et que la terre ne nous protégeait plus ou bien simplement que nous avancions dans la saison mais en tout cas l'été était derrière nous. Il était temps de rentrer.

Paul S. avait décidé de m'accompagner pour ce trajet et je l’accueille à bord le 27 août à Göteborg.

Marina de Göteborg


La météo est maussade et contraire et nous décidons de commencer par une étape vers l'île de Marstrand.
Nous y restons deux jours en attendant la fin du passage d'une dépression. Ce port qui était complet il y a encore 10 jours est quasi vide. La saison Suédoise est bien finie.

Marstrand























Les conditions semblent meilleures le 29 août avec des prévisions de vent de nord-est s'orientant progressivement au sud-est. Le vent, annoncé entre quatre et six beaufort, sera donc contraire au début mais viendra progressivement du travers.























Et c'est à peu près ce qui s'est passé. Notre cap est beaucoup trop vers le sud au début mais le vent adonne progressivement et nous pouvons enfin faire une route directe le long de la côte nord du Danemark. Le vent forci vers 20 heures, et il nous oblige à prendre progressivement des tours de rouleaux dans la grand-voile et dans le génois. Vers minuit, il souffle entre 30 et 32 nœuds avec des rafales à 34. En même temps, une alarme s'allume à la table à cartes : Le baromètre électronique nous prévient d'une possibilité de vent fort. ‘ Merci, on le savait déjà!’ Mais ce qu’il ne nous dit pas, c’est pourquoi nous avons ces 10 nœuds de vent de trop dont nous nous serions bien passés.

Déjà très secoués quoique ce soit un vent de terre, la direction du vent nous empêche de prendre un cap plus au sud vers le nord des Pays-Bas. Nous décidons de nous arrêter à Hanstholm, qui est situé juste au nord-ouest du sommet du Danemark. Le Reeds Nautical almanach indique que c’est un grand port de pêche qui n'accueille pas les bateaux de plaisance. Après un appel VHF pour demander la permission d'entrer dans le port, nous sommes vraiment bien accueillis et dirigés vers un quai couvert d'énormes pneus dont le blanc de la coque se souviendra longtemps. Nous nous amarrons à 2:30 après avoir parcouru 134 milles.

Hanstholm


La météo du jeudi 30 août n'est pas excellente et nous décidons de rester une nuit de plus à Hanstholm. Nous avons changé de l'argent, trouvé un magasin, un restaurant ; Nous restons étonnés en nous promenant dans la région de découvrir que les paysages de la Baltique ont disparu et nous nous retrouvons dans un paysage de dunes sablonneuses qui ressemble à la Belgique. Ce type de côte s'étend depuis le nord du Danemark jusqu'au-delà de la frontière avec la France et la côte est de l’Angleterre. Pourtant, les côtes rocailleuses et découpées de la Norvège ne sont qu’à 57 miles au nord.





Ces dunes et bancs de sable rendent la côte ouest du Danemark très inhospitalière. Les instructions nautiques indiquent qu'il est très dangereux de rentrer dans les ports lorsque le vent souffle du large à plus de cinq beauforts. Nous serons donc obligés de faire route jusqu'aux Pays-Bas en une étape. De plus, les îles de frise le long des côtes nord de l’Allemagne et des Pays-Bas ne sont pas plus accueillantes et ne proposent que trois abris : Helgoland, Borkum et Den Helder. Pour les autres, peu de profondeur, bancs de sable, courants et mer déferlante dès qu’il y a du vent.

Les prévisions du jeudi soir ne sont pas excellentes, mais après une nuit très venteuse, nous nous réveillons le vendredi sous le soleil et sans vent. Après l'analyse de plusieurs météos, nous décidons d'y aller. Le vent qui a soufflé du nord-ouest cinq à sept doit diminuer à quatre et s'orienter progressivement au sud-ouest, force de quatre à cinq, dans les 48 heures. Voilà qui est parfait, même si nous devrons terminer au louvoyage !

Le départ se fait au moteur, faute de vent, dans une mer de deux à trois mètres. En nous éloignant de la côte, le vent monte progressivement à 15, puis 18 nœuds et nous permet de faire une route directe avec une vitesse de six à sept nœuds vers Den Helder. En fin d'après-midi, nous retrouvons sous génois seul, bien roulé avec un vent portant de 28 à 33 nœuds.
Rontudjuuu, cela recommence, les prévisions météo étaient à nouveau erronées. Mais, bien que nous soyons assez secoués, nous avons au moins l'avantage d'avancer très vite et dans la bonne direction.

Le vent va tomber au cours de la nuit et puis au matin s'orienter doucement, comme prévu, vers le sud-ouest. Nous sommes à ce moment-là à quelques heures du premier rail des cargos et nous passons doucement en configuration de près serré.
La météo navtex nous rassure : Vent d'ouest à sud-ouest quatre pouvant augmenter momentanément à cinq. Tout va bien, nous devrions contourner Den Helder ce soir.

Et pourtant encore une fois ce n'est pas du tout ça qui va se passer : Ce vent de sud-ouest n'a aucune composante ouest, il est plein dans le nez, et en plus il monte progressivement à 25, puis à 32 nœuds. Avec le vent apparent, nous en dégustons 38 à 39, à nouveau 10 de trop !

Très rapidement, le génois roulé accuse un creux qui nous empêche de remonter au vent. C’est le moment d’utiliser pour la première fois notre dernier investissement de l’hiver passé : Une trinquette sur étai largable.

Comme elle est déjà grée, il suffit de la hisser. Ceux qui ont déjà fait cette manœuvre savent ce qu’il faut comprendre par ‘il suffit’.  Après cette bataille avec la drisse, la toile, le sac, les vagues qui passent sur le pont glissant, le harnais qui se bloque dans tout ce qui dépasse et la trouille de l’équipier que je glisse à la mer, nous avons le plaisir de constater que cette trinquette est parfaite. Elle améliore directement notre situation et nous permet de faire un cap très honorable. Comme le vent continue à forcir, nous allons progressivement rouler la grand-voile. Cette configuration nous permet de remonter, vite et sans problème jusqu'aux environs de 30 nœuds.


La trinquette


Vers  32 nœuds cela devient limite. Le voilier m'avait donné le conseil de rouler complètement la grand-voile si je constatais que nous étions sur-toilés  Après essais, cela ne fonctionne pas. Sans grand voile, la vitesse tombe directement aux environs de 3 à 4 nœuds. Quoique je pense que ce soit ridicule, je me décide à ajouter un tout petit bout de grand-voile, que j'estime à deux ou trois m². Cela ramène immédiatement la vitesse aux environs de six nœuds. Mais c’est décidé, nous allons ajouter une bande de ris à la trinquette et cela nous permettra de remonter au vent au-delà de 30 nœuds.

En attendant, la situation à bord est très inconfortable. Je n'aime pas ça et reste relativement inquiet.  C'est la première fois que je remonte dans un vent et une mer aussi forts avec ce bateau et bien qu'il se comporte parfaitement, je me demande comment il est possible que tout ce matériel résiste avec des efforts pareils. Bien sûr, des bateaux identiques ont vécu des situations bien plus difficiles… Mais je continue à prévoir ce que je ferais en cas de problème, en ne laissant rien paraître à l’équipier qui me regarde pour voir ce qu’il doit en penser. Est-ce que le tirant de l’étai largable a été bien fixé cet hiver ? Et s’ils s’étaient trompés ? Et si le pont se soulevait en laissant entrer la mer à flot dans la cabine avant ? Et si, et si, et si ...
La mer très chaotique, nous apporte régulièrement des coups de gîte qui mettent le pont et les hublots latéraux dans l'eau, les écoutes sont emportées et traînent derrière. La moindre avarie nous laisserait dans une situation très difficile. Nous restons attachés dans le cockpit, il est difficilement possible d'aller aux toilettes, d'ailleurs elles vident leur contenu à la gîte dans les salles de bains. Il est difficile de manger, impossible de dormir et pour garder la vitesse, je dois barrer la plupart du temps. Cette punition va durer 15 heures. Heureusement, notre approche de la côte nous permet de retrouver le pilote automatique car le ‘fetch’ et donc la mer diminuent.

Den Helder est bien sûr oubliée et nous allons tenter de nous abriter à Borkum qui se situe sur la frontière entre l'Allemagne et les Pays-Bas. Sans notre trinquette et avec le courant contraire, il nous aurait été impossible de remonter suffisamment au vent pour y arriver et c'est vers l'île d’Helgoland que nous aurions dû aller pour nous réfugier, ce qui aurait représenté un très grand détour, pour y arriver et en revenir, se chiffrant en dizaines d'heures de navigation.

Nous arriverons à Borkum à 5:45 le matin après 40 heures de navigation et un parcours de 278 milles. Le bateau est en parfait état, pas une seule goutte d'eau à bord, mais l'équipage est assez cassé.

Ce qui est marquant dans le nautisme est la succession de très hauts et de très bas. Avec mon père, nous avons un code pour l’exprimer: ‘A ce moment là, j’ai vendu mon bateau, mais le lendemain matin, en prenant mon petit déjeuner au soleil, je l’ai racheté.’ Cela veut simplement dire qu'il a sérieusement dégusté en se demandant une fois de plus pourquoi il continuait à naviguer.

Encore un qui devait en avoir marre du bateau ...


Nous rachèterons, nous aussi, le voilier en profitant d'une journée à Borkum et en visitant la ville balnéaire qui n’est pas mal du tout et qui propose de très nombreux restaurants. Un conseil, le glacier italien situé devant l’arrêt du bus vaut le détour.

Nous repartons le lundi 3 septembre avec un courant et un léger vent contraires : Moteur. En suivant la côte, nous nous orientons de plus en plus vers le sud-ouest, mais le faible vent tourne avec nous et reste tout à fait contraire : Moteur.

Au petit matin, après une nuit tranquille, nous sommes agressés par une intense lumière verte juste sur notre route. Probablement un rayon laser. En même temps la VHF nous appelle et nous demande de nous écarter d'un mile d'un navire qui est juste devant nous. Le navtex nous avait prévenus mais je n’avais pas porté attention à ce message noyé parmi tous les autres.

Peu après le vent se lève, le courant se renverse et devient portant, et nous allons passer la journée à louvoyer le long de la côte des Pays-Bas. Car bien sûr le vent est toujours du sud-ouest, c'est-à-dire juste dans le nez.

Mais nous avançons vite et nous passons l'entrée de Rotterdam vers 16 heures avec un voilier hollandais qui se charge de la communication avec les autorités portuaires qui ont une façon de parler le néerlandais qu’il nous est difficile de comprendre même pour Paul qui est néerlandophone. Stress, il y a toujours autant de cargos dans tous les sens ; une zone à éviter dans la mesure du possible, je déteste.

Le vent va ensuite adonner et faiblir et nous allons terminer notre trajet au moteur en empruntant la petite passe le long de la presqu'île de Walkeren.

Et nous aurons le plaisir de nous amarrer à une heure du matin à Breskens : Petite bière bien méritée, même deux et au lit.

Nous avons navigué 39 heures depuis Borkum et parcouru un nombre de miles important que la fatigue m'a fait oublier de noter…

Mais depuis Göteborg nous avons parcourus 742 miles.